Dividende Universel / Salaire à Vie : compte-rendu de ma rencontre avec Bernard Friot le 11/01/15

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Que choisiriez-vous entre Salaire à Vie et Revenu de Base ? On ne pourrait pas avoir les 2 en même temps, tant qu’à faire ? Pas si simple …

Les partisans du revenu de base (RdB) connaissent plutôt bien Bernard Friot, car il fait partie de ses opposants les plus résolus à gauche, avec le Réseau Salariat. Pourtant, donner un revenu d’existence à tous sans condition préalable est une proposition éminemment généreuse à première vue… Pourquoi y être opposé?  J’ai donc voulu comprendre les raisons de cette discorde entre le revenu de base et le salaire à vie, en me rendant à cette soirée-rencontre organisée le 11 janvier 2015 par le PCF à Paris.

Je retranscris d’abord les propos de Bernard Friot. Le dernier paragraphe reprend la discussion que j’ai eue avec lui par la suite, où le Salaire à Vie et le Revenu de Base m’ont apparu a priori complémentaires, dans une perspective « de gauche ». Avant de me raviser…

1) Le capitaliste ne veut plus être un employeur : le RdB est sa roue de secours

Par le rapport de force, le travailleur a conquis depuis des décennies des droits de propriété sur la valeur économique qu’il crée. Désormais, le capitalisme cherche à faire refluer le droit du travail, et tout simplement à se passer totalement d’employés (Uber, Airbnb, Blablacar…). Le RdB est l’outil qui permettra à la logique d’accumulation du capital de perdurer, tout en se passant d’employés et de droit du travail.

Signe de cette évolution du capitalisme, le rapport Thieulin inscrit pour la première fois le revenu de base dans un document officiel, et préconise alors 3 idées principales qui vont simplement permettre au capitalisme d’imposer le droit commercial au droit du travail :

  • le RdB
  • l’autoentrepreneuriat
  • le compte personnel d’activité (CPA)

Le CPA propose : 1 jour cotisé = 1 jour de prestations, c’est donc une régression du point de vue du droit du travail, comme l’autoentrepreneuriat.

Si le RdB est proposé avec ces mesures régressives, c’est que ce n’est sûrement pas un progrès social!

2) Le RdB est du pouvoir d’achat, mais ce n’est pas le pouvoir aux travailleurs

La Sécurité Sociale ne doit pas être vue comme de la solidarité entre riches et pauvres, jeunes et vieux…Ce serait un raisonnement de victime, ou de « catho ». La classe ouvrière communiste n’est pas victime, elle est candidate à la gestion de l’économie. Elle développe de façon autonome ses propres méthodes pour produire en fonction des intérêts collectifs des travailleurs.

Le régime général de la Sécurité Sociale, créé en 6 mois en 1946 par Ambroise Croizat, est le « résultat d’une classe ouvrière à l’offensive ». Il définit une autre façon de produire, qui ne fait pas appel à la propriété lucrative. Résultat : nous (les travailleurs) nous approprions actuellement 500 Md€ de valeur par an, et nous décidons comment la gérer.

La supériorité économique de cette façon de produire par rapport au mode de production capitaliste est démontré par le niveau de vie des professions libérales. Là où les architectes et les avocats « crèvent » jusqu’à 40 ans, les médecins peuvent vivre normalement dès leur installation, du fait d’une patientèle solvabilisée par la sécurité sociale. Le mode de production socialiste remplacera le capitalisme, du fait de sa meilleure efficacité économique, de la même façon que le mode de production capitaliste a vaincu le mode de production du système féodal.

La cotisation sociale est l’outil qui a alors été choisi pour produire autrement. C’est cet outil que la classe ouvrière doit maintenant étendre à tous les domaines économiques, en allant vers le salaire à vie. Cette cotisation a augmenté de 25% à 60% jusqu’en 1980, mais elle plafonne depuis. En énonçant simplement que les marchés publics doivent aller vers les sociétés coopératives, et non pas Bouygues ou Sanofi, on sortirait immédiatement les coopératives de leur marginalité.

L’émancipation s’obtiendra en s’appropriant les outils et méthodes de production, ce que ne permet pas le revenu de base. Car le RdB distribue du pouvoir d’achat, mais ne permet pas aux travailleurs de décider de la production. Le RdB est donc avant tout utile au capitalisme.

Le coeur de la démocratie doit donc être la souveraineté économique, basée sur le salaire à vie, la propriété d’usage (et non pas lucrative) et le droit de délibération. En outre, la transition écologique n’est pas possible tant qu’on n’a pas de salaire à vie. Tant que le salaire restera attaché à l’emploi et non pas la personne, tant que les gens auront peur de perdre leur emploi et leur statut social, les travailleurs continueront à faire tourner les industries polluantes sans pouvoir exercer leur droit de délibération sur la façon de produire.

3) Mais un RdB par création monétaire, c’est capitaliste ou communiste??

Contrairement à ce qu’expose B. Friot, un communiste devrait pour moi nécessairement arriver au RdB… si on considère le problème de la création monétaire.

J’ai donc posé ma question à B. Friot à la suite de son exposé :

 » A l’heure actuelle la monnaie est produite par des banques, des entités privées possédées par une minorité, elles ne sont contrôlées ni par les travailleurs, ni par les citoyens. L’émancipation passera nécessairement par le contrôle de la monnaie. Or, comment faire plus équitable que de distribuer la nouvelle monnaie créée à chacun, en quantité égale, sans discrimination ? Et si je donne régulièrement à chacun sa part de nouvelle monnaie, n’est-ce pas un revenu de base ? Qu’est-ce qui empêche d’avoir un mix revenu de base + salaire à vie ?  »

Réponses de B. Friot :

  • Tout d’abord, il est historien de la Sécurité Sociale, et pas spécialiste des questions monétaires ; il ne peut donc pas débattre avec moi au sujet des nouvelles monnaies « peer-to-peer », comme la monnaie libre ;
  • Il faut sortir de la monnaie de crédit, car la classe des travailleurs peut financer ses productions par la subvention, sans faire appel au crédit bancaire (exemple : les hôpitaux) ;
  • Il y a un excès de confiance à penser que la monnaie a une position centrale dans le capitalisme. Le coeur du capitalisme est la propriété des moyens de production.

Mais alors…

Si on sort de la monnaie de crédit, et que la nouvelle monnaie vient de subventions données à des caisses gérées par les travailleurs, c’est toujours une minorité d’individus qui affecte l’argent à des projets définis par cette minorité…

Et si on donnait la subvention à chaque individu, sous forme de Dividende Universel (DU), charge ensuite à eux  de se regrouper et de financer librement les projets qu’ils souhaitent ?

Bernard Friot pense qu’on pourrait en effet aller vers cet objectif, comme il me l’a confié.  C’est alors la définition du revenu de base sous forme de Dividende Universel, et on a là le RdB qui crée l’argent (=attribution primaire), et le Salaire à Vie qui est une façon particulière de rétribuer le travail, par la cotisation ou l’impôt, selon une logique communiste (=attribution secondaire).

Ces deux types de revenus ne s’opposent donc pas a priori, car ils répondent à un objectif différent.

Mais…

Un SàV pour tous, c’est à dire la socialisation maximale de l’économie, signifie aussi la délibération démocratique de ce qui relève du travail, et ce qui n’en relève pas. La valeur économique de tout produit dépendrait alors du résultat de la délibération collective. A quoi bon alors mettre en place un salaire sous forme de monnaie ? Pourquoi ne pas décider de la production/distribution en termes de quantité de patates, de voitures, de spectacles ? Pourquoi vouloir s’attacher à cette institution capitaliste qu’est le salariat si ce n’est pas pour introduire une dose de souplesse et de marché ?

 

 

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